sábado, 2 de agosto de 2008

RAZONES PARA VIVIR FELIZ



UNO DEBERÍA poder dar a todos los poemas este título: Razones para vivir feliz. Al menos para mi, los que escribo son cada uno como la nota que trato de tomar, cuando de una meditación o de una contemplación brota en mi cuerpo el cohete de algunas palabras que lo refresca y lo decide a vivir algunos días más todavía. Si llevo más lejos el análisis, encuentro que no hay otra razón para vivir sino porque existen los dones del recuerdo, y la facultad de detenerse para gozar del presente, lo que equivale a considerar este presente como consideramos por primera vez los recuerdos: es decir, guardar el goce presunto de una razón en estado vivo o crudo, cuando acaba de ser descubierta en medio de las circunstancias únicas que la rodean en un mismo segundo. He aquí el móvil que me hace tomar la pluma. (Quedando entendido que, sin duda, no deseamos conservar una razón sino porque ésta es práctica, como un nuevo utensilio sobre nuestra mesa de trabajo). Y ahora me es preciso decir todavía que lo que llamo una razón podrá parecer a otros una simple descripción o relación, o pintura desinteresada e inútil. He aquí cómo me justificaré: Ya que la alegría me ha venido por la contemplación, el retorno de la alegría puede muy bien serme dado por la pintura. Esos retornos de la alegría, esos refrescamientos gracias a la memoria de los objetos sensoriales, he aquí exactamente lo que llamo razones para vivir.

Si los nombro razones es porque son retornos del espíritu a las cosas. No hay más que el espíritu para refrescar las cosas. Notemos, además, que estas razones son justas o valederas solamente si el espíritu retorna a las cosas de una manera aceptable por las cosas: cuando no son lesionadas, y, por decirlo así, cuando son descritas desde su propio punto de vista.
Pero esto es un término, o una perfección, imposible. Si eso pudiese alcanzarse, cada poema gustaría a todos y a cada uno, en todos y a cada momento, como gustan e impresionan los objetos sensoriales mismos. Pero eso no es posible: Siempre hay relación al hombre... No son las cosas las que hablan entre ellas sino los hombres entre ellos quienes hablan de las cosas y uno no puede, de ninguna manera, salir del hombre.

Al menos, por medio de un amasamiento, de un primordial irrespeto a las palabras, etc., deberemos dar la impresión de un nuevo idioma que produzca el electo de sorpresa y de novedad de los objetos sensoriales mismos.

Es así como la obra completa de un autor podrá a su vez ser considerada más tarde como una cosa. Pero si pensáramos rigurosamente según la idea precedente, tendría que haber no una retórica por autor sino, aún más, una retórica por poema. Y en nuestra época vemos esfuerzos
en este sentido (cuyos autores son Picasso, Stravinsky, yo mismo: y en cada autor una manera por año o por obra).

El tema, el poema de cada uno de estos períodos corresponden evidentemente a lo esencial del hombre en cada una de sus edades; como las sucesivas cortezas de un árbol que pierde el ritmo por el esfuerzo natural del árbol en cada época.



Francis Ponge (Francia, Montpellier- 1899- Bar-sur-Loup,  1988)


(Traducción de Alfredo Silva Estrada)

RAISONS DE VIVRE HEUREUX


L'ON DEVRAIT pouvoir à tous poèmes donner ce titre : Raisons de vivre heureux. Pour moi du moins, ceux que j'écris sont chacun comme la note que j'essaie de prendre, lorsque d'une méditation ou d'une contemplation jaillit en mon corps la fusée de quelques mots qui Je rafraíchit et le décide à vivre quelques jours encoré. Si je pousse plus loin l'analyse, je trouve qu'il n'y a point d'autre raison de vivre que parce qu'il y a d'abord les dons du souvenir, et la faculté de s'arréter pour jouir du présent, ce qui revient à considérer ce présent comme l'on considère la première fois les souvenirs: c'est-à-dire, garder la jouissance présomptive d'une raison à l'état vif ou cru, quand elle vient d'étre découverte au milieu des circonstances uniques qui l'entourent à la même seconde. Voilà le mobile qui me fait saisir mon crayon. (Étant entendu que l'on ne désire sans doute conserver une raison que parce qu'elle est pratique, comme un nouvel outil sur notre établi). Et maintenant il me faut dire encore que ce que j'appelle une raison pourra sembler à d'autres une simple description ou relation, ou peinture désintéressée et inutile. Voici comment je me justifierai: Puisque la joie m'est venue par la contemplation, le retour de la joie peut bien m'être donné par la peinture. Ces retours de la joie, ces rafraîchissements à la mémoire des objets de sensations, voilà exactement ce que j'appelie raisons de vivre.
Si je les nomme raisons c'est que ce sont des retours de l'esprit aux choses. II n'y a que l'esprit pour rafraîchir les choses. Notons d'ailleurs que ces raisons sont justes ou valables seulement si l'esprit retourne aux choses d'une manière acceptable par les choses: quand elles ne sont pas lésées, et pour ainsi dire qu'elles sont décrites de leur propre point de vue.
Mais ceci est un terme, ou une perfection, impossible. Si cela pouvait s'atteindre, chaque poème plairait à tous et à chacun, à tous et à chaque moment comme plaisent et frappent les objets de sensations eux-mêmes. Mais cela ne se peut pas: Il' y a toujours du rapport à l'homme...
Ce ne sont pas les choses qui parlent entre elles mais les hommes entre eux qui parlent des choses et l'on ne peut aucunement sortir de l'homme.
Du moins, par un pétrissage, un primordial irrespect des mots, etc., devra-t-on donner l'impression d'un nouvel idiome qui produira l'effet de surprise et de nouveauté des objets de sensations eux-mêmes.
C'est ainsi que l'oeuvre complète d'un auteur plus tard pourra à son tour être considérée comme une chose. Mais si l'on pensait rigoureusement selon l'idée précédente, il faudrait non point même une rhétorique par auteur mais une rhétorique par poème. Et à notre époque nous voyons des efforts en ce sens (dont les auteurs sont Picasso, Stravinsky, moi-même: et dans chaque auteur une manière par an ou par oeuvre).
Le suje't, le poéme de chacune de ces périodes correspondant évidemment à l'essentiel de l'homme à chacun de ses âges; comme les successives écorces d'un arbre, se détachant par l'effort naturel de l'arbre à chaque époque.




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